jeudi 26 février 2009

Un article écrit à deux mains

Cet article écrit a deux mains, celles de mon frère Hugues l'ethnologue, et les miennes Bernard l'économiste fut un véritable parcours initiatique. Nous avons voulu montrer comment des observateurs privilégiés, face à la mémoire enfouie au plus profond de nos anciens, ont parfois la chance de faire ressurgir des faits complètement oubliés, et d’en mesurer la véracité dans les sources écrites elles aussi enfouies sous des tonnes de poussière.

En comparant deux sources la tradition orale, et sa confirmation plus tard par des sources historiques écrites nous avons pu mettre à jour en 1972 dans la commune du Diamant à la Martinique, une mémoire encore persistante du dernier navire négrier clandestin arrivé en 1830 à la Martinique où il coula faisant de nombreux morts. Or cette mémoire s'était en quelques sorte télescopée avec le souvenir beaucoup plus récent de l'immigration de Congo à la Martinique entre 1858 et 1860 c'est à dire après l'abolition de l'esclavage qui dans les colonies françaises date de 1848.

Des observateurs privilégiés

Le dernier de nos frères est né au Congo où nous avons vécu enfants. Au Congo, on confiait la garde des enfants à de grands et de solides gaillards, souvent des chasseurs ou des guerriers, reconnaissables à leurs scarifications. A la Martinique où nous avons débarqué, petits enfants, c’est à des Da que nous fumes confiés. Etrange coïncidence, la première d’entre elles Anelta était descendante de Congo ! Ce sont elles qui nous ont fait connaître la richesse des traditions et le créole.

Enfants les grandes vacances au Diamant étaient le moment des grandes découvertes.


Le Pére Pinchon, éducateur et scientifique hors pair, avait su éveiller notre intérêts pour notre environnement. Au Diamant il n’y avait alors ni eau courante, ni route, ni électricité, et les maisons de l’anse Cafard où nous avions quelques amis pêcheurs étaient en torchis. Mais tout y était à découvrir.

Très jeunes nous avons été confrontés à la question de la dualité des sources historiques, les sources officielles écrites, et la tradition orale. Plus d’une fois notre père avec ses vastes connaissances est venu soit conforter soit infirmer les informations ou histoires recueillies auprès de nos Da ou de quelques uns des anciens des mornes du Diamant. Dans les années 50-60, nous nous y aventurions à la suite de Monsieur Samson, ou de notre ami Monsieur Bingue de la Taupinière qui habitait à deux pas d’un « cimetière Congo », comme nous le sûmes plus tard. Sa femme était en partie une descendante de caraïbes, les « anciens naturels du pays » comme on disait dans les registres de catholicité que nous avaient montré Emile Hayot, un ami de notre Père. Et pourtant certains persistaient à écrire que les caraïbes avaient tous été exterminés depuis la fin du XVII° siècle. L’arbre généalogique de la famille du député Ernest Deproge prouve le contraire .

Plus tard la révélation de la richesse et la complexité de la tradition orale nous est venue de nos expéditions avec Anca Bertrand une anthropologue d’origine roumaine qui avait adopté comme patrie la Martinique en épousant le peintre martiniquais Alex Bertrand. Nous avons enregistré des tambours dans les hauteurs du Diamant, filmé de la « Haute Taille » dans d’autres quartiers, enregistré, photographié sans cesse. Monique, sœur de maman, après avoir enregistré les « Fables Compére Zicaq » de Gilbert Gratiant, fut l’une des organisatrice de la première veillée mortuaire télévisée par l’ORTF sur l’habitation St Laurent au François. Il n’y avait pas eu de morts dans le créneau horaire syndical, aussi avait on fait appel à un simili mort. La veillée s’étant emballé, on avait oublié cet aspect particulier jusqu’au cri « Môa lé pisé, môa ka lévé pisé »avait dit une personne en voyant l’acteur se lever pour aller aux toilettes. L’humour est fondamental dans la pensée créole. Cependant la grande découverte pour nous c’est l’archéologie et l’ouverture aux cultures amérindiennes en particulier dans le magnifique site du Diamant. Un peu plus tard notre père nous a fait le plus beau et redoutable des cadeaux en nous introduisant auprès des conservateurs des archives de la France d’Outre Mer, mesdames Ménier et Pouliquen. Elles nous donnent un large accès aux sources de la mémoire écrite.

En anthropologue de retour au Diamant

Bernard est parti en France à Grenoble puis à Paris. Il a obtenu grâce à notre père l'autorisation d'explorer les fonds des archives de la rue Oudinot, où se trouvent les fonds concernant la Martinique au XIX° et au XX° siècle. (Depuis elles ont été transférées à Aix en Provence).

Notre père pour éviter la contagion de mai 68 a décidé avec l’aide du Docteur Benoit, « Le voyageur lumineux », de m’exiler, moi Hugues à la toute nouvelle université de Montréal. J’y serai inscrit au département d’anthropologie. L’université organise la collecte des traditions orales, et en troisième année, me voici associé dans le cadre d’une bourse, à Gisèle Cultier la femme de notre ami le musicien Marius Cultier, pour aller à la Martinique collecter des traditions en langue créole pour le département de dialectologie dirigé par Gilles Lefbvre spécialiste du créole.

J’ai choisi comme terrain le Diamant qui n’a alors rien à voir avec la station touristique que ce bourg est devenu. Richard Price et Sally son épouse, anthropologues spécialistes des sociétés marrons avaient déjà travaillé sur la petite anse du Diamant. Je décide de me concentrer sur l’Anse Cafard, la Dizac, le bourg du Diamant, les hauteurs de Morne Blanc, le Morne Constant, la Taupinière et le quartier Médecin à Riviere salée. C’est à la boutique de Fofo que je suis présenté à Sébastien B. « Mi an kongo ki pé palé kongo baw » me dit Fofo . « Je sais que tu es de race blanche lui dit Sébastien vexé. Non, je suis de race caraîbe répond Fofo et il paya la tournée.

Me voici installé six mois en 1972 au Diamant, où après un long travail d’approche, la confiance se mérite, renouant avec de vieilles connaissances en faisant d’autres, j’enregistre veillées, comtes, histoires et évènements qui ont marqué la mémoire collective ancienne. Auprès des anciens, inlassablement j’enregistre leurs souvenirs, ce que leur ont appris leurs parents et parfois leurs grands parents. On me parla du naufrage d’un navire négrier au Diamant, de la guerre du Diamant et de la mort du Colonel Copens , de la Comète de Halley, du passage dans la baie sur les hauts fonds d’un sous marin durant la dernière guerre. Le professeur Lefbvre veut du créole ancien parlé par des anciens.

La mémoire du naufrage d’un navire négrier

J’ai appris en 1972 de la bouche d’un ancien de 90 ans de Fond Requiem, qui le tenait lui même du père de son père, qu’il y avait eu un naufrage d’un navire négrier là, me montra t’il dans la baie de l’Anse cafard. Il me dit qu’il y avait eu de nombreux morts noyés, mais aussi des survivants qui avaient été sauvés par les nègres de l’habitation Latournelle (Elle est devenue Habitation Dizac). A cet endroit quelques années plus tôt nous avions trouvé des formes à sucre en terre cuite. Etait ce le même navire ?

Le grand père de cet ancien dont j’estime la naissance entre 1815 et 1825 n’a pu connaître que du naufrage d’un navire de traite clandestine. De ce bateau je voulais tout en savoir. Il devait y en avoir des traces dans quelques archives. Je découvrirai un an plus tard les documents aux archives de la France d’Outre Mer (Série Martinique C 78). Ce navire de traite clandestine avait coulé le 8 avril 1830 à cet endroit. Ainsi je venais de faire le lien entre la tradition orale et les sources historiques écrites. Je découvris plus tard que Schoelcher en parla au chapitre XII de son ouvrage « De l’esclavage des noirs et de la législation coloniale » Paris 1833.

Dans ce carton je découvris le détail du naufrage de ce navire le 8 avril 1830. J‘avais entre mes mains les rapports détaillés sur ce naufrage en particulier les rapports d’un certain Boitel qui assurait l’intérim du Directeur de l’Intérieur. Son rapport est plus qu’accablant sur la responsabilité plus que probable des notables locaux tels Michel Hayot et Telliam Maillet propriétaires, et Dizac Géreur de l'habitation Latournelle à Dizac. Le brick qui va se fracasser a été aperçu vers midi. Il se dirige vers le Diamant et jette l’ancre à l’Anse Cafard vers 17 heure. La mer se lève fortement vers 23 heure et le navire dérape puis se fracasse sur les rochers. L’administration ne sera avertie que le lendemain. Les esclaves de l’habitation Latournelle n'ont pu sauver 26 hommes et 60 femmes. les fers aux pieds. On découvrira que ce navire avait embarqué 330 esclaves, durant les 4 mois du voyage, 70 avaient péri en mer avant l’arrivée au Diamant, sur les 260 arrivés au Diamant, 174 moururent ce jour-là, et seuls 86 survécurent.

Pour avoir montré trop de zèle monsieur Boitel, Directeur de l’Intérieur par Intérim mais en réalité Secrétaire Archiviste, sera conduit à quitter les Antilles à la demande des blancs créoles du conseil privé et sur ordre de l’Amiral Dupotet Gouverneur, pour « avoir reçu à sa table des hommes de couleur libres ».

Ce n’est que plus tard que des recherches furent conduites sur ce drame qui venait clore une longue liste de traite. Rien que dans les dernières années du trafic illicite on retrouva attestée l’arrivée de 8 navires négriers ayant débarqué et vendu leur cargaison : le 31 mai 1828, un navire négrier débarque 195 esclaves au Simon, commune du François, l’un des armateurs est monsieur Amédée Maillet. Le 4 novembre 1828, un navire négrier a débarqué, toujours au François, 395 nègres qui ont été vendus publiquement sur l’Habitation Hardy. Le 12 novembre 1828, près de 500 nègres sont débarqués à la Trinité sur l’Habitation Beauséjour. Le 25 novembre 1828, 212 nègres sont débarqués par le brick « L’entrepreneur » au François sur l’habitation Blampré. Le 4 décembre 1828, une nouvelle cargaison de 130 nègres est débarquée et vendue sur l’habitation Hardy. Le 10 décembre 1828, 200 nègres sont débarqués à Moulin à Vent au François. Le 13 décembre 1828, 180 nègres sont débarqués sur l’Habitation La Pointe. Le 5 janvier 1829, la goélette « La Folie » débarque 114 nègres au François toujours sur l’habitation Hardy. Et il y en eut d’autres souvent armés par des habitants et négociants de la Martinique à partir de Saint Thomas, puisque j’en ai trouvé deux autres l’un au Robert fin 1829, le Commandant de milice de Catalogne sera mis en cause et l’autre le naufrage d’avril 1830 à l’anse Cafard. Cette cargaison était probablement destinée à l’habitation Latournelle et peut être même à une autre habitation aux anses d’Arlet.

C’est avec émotion que je fis part de mes découvertes sur ce drame du 4 avril 1830 en premier lieu à ceux qui m’avaient informé. Ce fut à ce jour le dernier navire négrier illicite connu à la Martinique. Quelques années plus tard un artiste martiniquais Laurent Valère va ériger un monument face à cette épave pour ne pas oublier et c’est justice.

Une communauté de descendants de Congo.

Très tôt, je me suis rendu compte qu’il existe une communauté spécifique au Diamant, de familles des descendants de congo.

Je savais alors vaguement qu’il y avait eu à la Martinique une immigration africaine plus de dix ans après l’abolition de l’esclavage. Ceci m’est confirmé par l’abbé David qui a effectué des recherches sur le sujet qui m'indique que de fin 1857 à fin 1862 de nombreux convois ont débarqués ce que l'on appela des immigrants congos, mais qui en réalité ne fut que la poursuite d'une traite négrière, débouchant sur une libération contre un engagement de dix ans.

L'abbée David me donna alors accès à toute sa documentation et je consacre donc une importante partie de mon temps à étudier la généalogie de ces familles Congo remontant jusqu’au premier arrivé à la Martinique.

Ce faisant j’entre alors dans la partie la plus secrète de cette communauté, puisque la connaissance du nom et du prénom, souvent secret, m’offre, dans la pensée magique la possibilité de lancer toutes sortes de sorts si j’étais animé de mauvaises intentions. En étudiant la parenté, je me suis rendu compte rapidement que si l’endogamie du groupe des Congo existe au début, très rapidement le groupe se fonde dans la société créole, bien plus rapidement que les immigrants indiens semble t’il. Je recopie inlassablement les patronymes de ces familles. Retenu par quelque pudeur sans doute, je n’ai jamais terminé et publié ce travail pourtant très intéressant sur ces généalogies familiales.

Qu'était cette immigration Congo ?

Mes informateurs m’indiquent que selon les traditions familiales des familles congo, nombreux avaient été ceux de leurs ancêtres qui s’étaient retrouvés esclaves sans savoir pourquoi et avaient été racheté pour émigrer. C’est avec une grande émotion que j’en retrouverai la trace dans les nombreuses archives à propos de l’immigration Congo. Car c cette immigration est une opération organisée par le Gouvernement Impérial français (du second empire ) sous le contrôle attentif des autres puissances comme l'Angleterre et pour laquelle on a produit de nombreux rapports.

Le Gouvernement français avait tant fait pour justifier cette immigration et justifier cette reprise de ce qu’il faut bien appeler la traite, que l’on possède sur celle-ci de volumineux rapports aux archives de la France d’Outre Mer. Elles vont me permettre, quand je les consulterai en 1973-74, de vérifier ce que m’avaient dit mes informateurs : leurs ancêtres s'étaient bien retrouvés esclaves sans savoir pourquoi. On possède un document attestant sans conteste cela c'est le rapport de l’Enseigne de Vaisseau Gillet délégué du gouvernement à Loango (Source Archive Sénégal XIV D28).



Le rachat d'esclaves renforce l'esclavage en Afrique

Au vu des divers rapports de l’Enseigne de Vaisseau Gillet, délégué du Gouvernement à Loango au où il meurt au bout de deux ans en fin 1860, qui peut un instant croire que l’instauration d’un contrat de rachat d’esclaves pour en faire des engagés, n’a pas joué un rôle important sur l’institution esclavagiste en Afrique ?

On reprend en 1858 les mêmes justifications que celles qui au XVIII° siècle, celui des lumières avait justifié la traite.

Le Gouvernement anglais est particulièrement opposé à cette forme de reprise de la traite, dès 1854 un Mémorandum est remis à propos du projet de loi Ducos sur l’immigration aux colonies on y note : « Déguisons le comme nous pouvons, l’achat des esclaves sera toujours le commerce d’esclaves ; et le commerce d’esclave c’est la traite... ». « Chaque homme distrait de la population esclave sera remplacé par une nouvelle victime... Le gouvernement français se rendra responsable de la capture et de la mise en esclavage» de cette nouvelle victime.

La similitude de cette opération avec une opération de traite est encore plus grande lorsque l’on regarde « le paquet de l’engagé », ce qui est payé au marchand pour le rachat de l’esclave pour en faire un engagé ici concernant les africains Dambi, Mambo et Calloa.


On remarque l’aspect dérisoire de ce qui est payé pour leurs rachats de 70 F à 90 F. Rappelons que les salaires observés vers 1860 dans l’agriculture à la Martinique étaient voisins de 1,00 F à 1,25 F/Jour ou tache.

Le rachat justifiant un contrat d’engagement de 10 ans était hors transport, payé entre 60 et 90 jours de salaires d’un travailleur à la Martinique. En 1870, sur l’habitation Fonds Saint Jacques il restera des engagés congo qui doivent encore quelques milliers de journées de travail.

Ce sont des esclaves rachetés, contre la signature d’un engagement de 10 ans pour aller travailler dans la colonie. Ils vont être transportés à la Martinique à partir de comptoirs africains qui continuent par ailleurs à fournir en esclaves Cuba, les Etats du sud des Etas Unis Américains , et le Brésil.

Combien furent ces malheureux ?

On sait par le dépouillement des nombreux cartons des archives de la FOM qu'ils furent plus de 10.000.

Sur une période courte du 6 juillet 1857 au 6 août 1862, 24 convois vont embarquer quelques 11.346 immigrants pour la Martinique dont seulement 10.520 vont débarquer à la Martinique, 826 soit 7,3% sont morts avant d’arriver à terre.



Sur ces 24 convois, deux ont été réalisés par la Maison Chevalier, et 22 convois par la Maison Régis de Marseille. Quelques navires ont été spécialement aménagés pour ce trafic, et fait plusieurs voyages. Ces voyages se font parfois dans des conditions déplorables comme la Ville d’Aigue Morte qui embarquant en 1860, 646 immigrants congo et laisse 81 morts en mer soit 12,5% ; moins chargée en 1962 avec 598 immigrants congo elle laisse en mer 13 morts soit 2,2%.

Que devenaient ces congo et qui étaient les engagistes ?

Mes informateurs m’indiquent que selon les traditions familiales, leurs ancêtres seraient arrivés en convois d’Afrique, pour être attribué à des engagistes. A ma grande surprise, alors que je pensais qu’il s’agissait seulement de grands propriétaires terriens, j’apprends que certains avaient été engagés par deux ou trois par toute sorte d’engagistes dont certains n’étaient pas des blancs, mais des mulâtres et des noirs. Je me devais de vérifier cela.

Deux ans plus tard, explorant dans les archives de la FOM les registres et les questionnaires détaillés (exemple FOM Martinique C129), ou même le journal « Le Moniteur de la Martinique ». J’y note que l’immigrant africain habite souvent sur un lopin de terre ou une maisonnette sur « l’Habitation » il est lié à l’engagiste par un contrat de dix ans qu’il doit rembourser au moyen de retenues effectuées sur ses journées de travail exclusivement effectuées sur cette exploitation. » Mais qu’il y a aussi des engagées en ville.

J’observe que si les premiers engagistes comme le Baron de Lareinty ou Eustache au Galion prennent à eux seuls la quasi totalité d’un convoi pour permettre la culture liée à la nouvelle usine que chacun projette, souvent les engagistes se contentent de un, de deux ou trois immigrants, et avec l’aide d’Emile Hayot je puis déterminer les engagistes blancs, mulâtres ou noirs. Prenons le cas publié dans le Moniteur du 26 septembre 1861. On y publie la liste des attributaires des 344 africains débarqués par « le Sans nom ». (Ils étaient en fait 355). Ceux qui en recrutent le plus sont les propriétaires blancs, le maximum qui leur est individuellement alloué est de 20 africains. Mais il existe plus de 48 engagistes principalement de la ville, qui n’en demandent et obtiennent que 1 ou 2 au maximum. Il y avait donc bien des engagistes, blancs, mulâtres et noirs.

Une fois de plus les écrits confortent la tradition orale.

De quelles ethnies étaient les immigrants africains Congo ?

Je découvre un jour dans un travail d’Herskovitz, un anthropologue américain spécialiste des afro amériques, que la maison Régis avait voulu établir la base pour son contrat de rachat d’esclave et d’immigration à Juda, mais que le Roi Guezo avait refusé. Il avait de sérieuses raisons. Il venait tout juste de retrouver après 18 ans sa mère vendu comme esclave de traite en Amérique avec d’autres dignitaires par son frère aîné Adamzan qui avait ainsi pu asseoir son pouvoir. Lui Guezo avait échappé à ce sort parce qu’il avait été caché par des fidèles. Ainsi immigration africaine organisée sous contrat par la maison Régis aurait pu venir non pas de N’Boma au Congo, mais de Juda, ce comptoir d’où est venu à la Martinique le plus grand nombre de convois d’esclaves avant 1830 au temps de la traite licite puis illicite. Le roi Guézo fût le grand père du roi Béhanzin exilé un temps à la Martinique.

Poussés par moi, certains vieux fouillent fond dans leur mémoire et me chantent des chants dont les paroles ne sont manifestement pas créoles. Ils s’en souviennent encore pour les avoir entendu dans leur jeunesse. Je gardai ces morceaux de mémoire comme autant de traces culturelles qui peut être me permettront de déterminer de quelle langue ils proviennent, et donc l’ethnie des premiers locuteurs.

En effet deux ans plus tard, avec des anthropologues et linguistes africains, nous allons décoder quelques chants, et en particulier un chant de travail. C’est du lingala une langue vernaculaire du Congo.Cela ne nous donne pas plus de précision sur l’origine ethnique.

La population des deux premiers convois ceux du Capitaine Chevalier n’est pas tout à fait de la même origine. Il semblerait qu’il ait embarqué quelques « Cap lahou » et quelques « kroumen », qui sont des marins nés, et de plus anglophones. Certains vont s’évader vers les îles anglaises où la traite est totalement arrêtée.

On ne sort pas indemne de ces confrontations.

Et la suite ?

Durant cette période, nos discussions, Bernard et moi vont bon train. Nous avons préparé tout un corpus pour une recherche conjointe lui sur l’évolution économique en cette fin du XIX° siècle, et moi sur la période juste antérieure avec une approche plus anthropologique. Bernard qui vient de passer un an aux archives de la France d’Outre Mer face à l’historien Edouard Delepine, nous a ramené quelques milliers de photocopies de documents.

J’ai complété le fond, et j’ai a transcrire mes nombreuses bandes magnétiques. Ni lui ni moi nous n’aurons réellement le temps ou peut être le courage de terminer cette recherche. Il doit nourrir sa petite famille. Je pars au service militaire en Guyane où je vais rencontrer une ravissante institutrice venue de Rivière Pilote. Je l’épouse. Elle me donnera mes quatre enfants et des années de bonheur. On va vivre dans un village créole sur l’Oyapock, puis parmi les indiens Oyampi de Trois sauts.



Je n’oublierai jamais mes années passée au Diamant, mais désormais ma vie sera en Guyane du moins je le croyais. Bernard et moi nous nous sommes jurés un jour d’écrire cette histoire, j’ai hésité puis j’ai cédé aux pressions d’un grand cacique Roland Suvelor un vieil ami.

Cet article a donc été publié dans "Les cahiers du Patrimoine" Tome 3 sur l'Esclavage - Revue du Bureau du Patrimoine de la Région Martinique.